Les 5 lettres du mot AMOUR – Concours ELLE 2017

Je m’appelle Elisa K., j’ai 50 ans et j’ai encore peur de l’AMOUR.

 

Le chiffre 5 a toujours marqué des tournants décisifs de ma vie sans que je ne comprenne pourquoi.

 

De zéro à 5 ans, prostrée et murée dans un profond silence, je n’ai pour seuls compagnons de jeux que des personnages imaginaires, amis ou ennemis, qui ne cessent d’envahir ma tête.

 

À 5 ans, au grand étonnement de tous, je me mets à parler et comme par miracle, mes amis imaginaires s’envolent et me laissent enfin prendre part à la vie terrestre et familiale.

 

À 10 ans, les cheveux courts, toujours affublée de pantalons, je peste contre mon déguisement de garçonnet, ma solitude d’enfant unique hyper protégée, et toujours cette même rengaine : « Tu es un accident, je ne voulais pas d’enfant et tu sais, le monde est dangereux »

 

De 5 ans à 15 ans, je me réveille régulièrement en pleurs avec toujours le même rêve. Une petite fille vêtue d’une robe blanche ornée de cerises, tremblante, serre la main d’une dame dont le chapeau agrémenté d’une voilette cache des yeux embrumés de larmes. À sa droite, un homme brun, grand et droit, parle à des hommes assis autour d’une table en arc de cercle… J’ai l’image de la Cène que l’on vous montre au catéchisme… Mais il s’agit là d’un tribunal… Et pourtant les mots de l’Eucharistie résonnent encore dans ce rêve.

« Ceci est mon corps, ceci est mon… »

 

À 15 ans, je découvre le sexe jusqu’alors tabou dans une rencontre entre deux puceaux timides où le sexe ne rime à rien et ne rime avec rien.

Faire l’amour dans le noir… sans voir, est-ce vraiment faire l’amour ?

À partir de ce jour‑là, mon rêve n‘est jamais plus revenu, mais mes nuits sont devenues de vraies insomnies ; le moindre bruit ou rai de lumière me met dans une panique irraisonnée… et le souffle de mes partenaires devient insupportable…

 

À 40 ans, une rencontre inattendue me fait enfin comprendre que le sexe peut être divinement bon et que seule la peur gâche ma vie de femme…

La tête entre ciel et terre, le corps étourdi de cette danse sauvage, je me sens enfin vivante. Une déferlante d’émotions qui, en se retirant, laisse à nu une femme qui a tu et caché si longtemps sa douleur et sa colère. Des mémoires d’abus, insidieuses, répugnantes, remontent inlassablement à la surface sans que je ne puisse cependant y mettre de vrais visages… comme si seul mon corps en gardait les traces…

 

Des maux aux larmes

Du silence aux mots

 

Puis, à 45 ans, les pièces du puzzle commencent à s’assembler… Ce jour-là, mon rêve devient réalité, et je dors.

 

Du non-dit à l’avoué

Du sombre à la lumière

 

Aujourd’hui, à 50 ans, Jules, tu me vois comme une femme libre, atypique, amoureuse de la vie, à la fois timide et provocatrice, forte et sensible. En frôlant ton corps, en soutenant ton regard, j’ai enfin compris combien j’aimais jouer avec les mots…

Ces mots que j’ai retenus pendant si longtemps, jaillissent de moi avec une telle douceur, une telle tendresse et parfois une telle violence…

 

Difficile de parler d’amour quand des souvenirs planent sur votre famille.

 

Du silence à la parole…

Du néant à la vie

« De l’Abus à l’Amour »

 

 

Aujourd’hui, Jules, face à l’océan, sur cette plage d’Hossegor, la chanson de Joséphine Baker me trotte dans la tête…

« J’ai deux amours « 

 

Moi, il me semble que j’ai deux désirs, un désir d’océan et un désir de toi, Jules… deux désirs qui se mêlent et s’entremêlent comme nos corps pourraient si bien le faire…

Sur cette plage à Hossegor, la vie a une autre saveur, plus authentique, plus sereine, plus douce… Je plonge avec délices dans cet océan, avec un plaisir parfois jouissif comme si je m’abandonnais sous tes caresses…

Comment rester insensible à son charme ? Parfois calme, parfois fougueux, j’aime sa puissance. Mon imaginaire ne sait vous dissocier, toi Jules de l’océan…

 

Allongée à même le sable, je laisse son écume recouvrir doucement mon corps et le dénuder à nouveau… Sous cette caresse incessante, ce doux reflux, je souris imaginant ce doux va­et‑vient de nos corps qui vont à la rencontre l’un de l’autre…

Qui du sable ou de l’océan pénètre l’autre ?… Je me sens à la fois sable et à la fois océan…

 

D’hermaphrodite à Aphrodite

 

Aujourd’hui, Jules, j’ai juste envie de t’écrire, toi, le futur homme de ma vie ; j’ai envie de t’écrire 5 lettres emplies de douceur et de douleur, 5 lettres d’amour, les 5 lettres du mot AMOUR au fil desquelles je vais rompre avec le silence de l’abus pour enfin goûter avec toi à l’amour…

 

======================================================================

Première Lettre du mot Amour : « A comme Abstinence »

 

Hossegor, le 5 janvier 2017

 

Jules,

 

Jules, je suis sur le bord du précipice…

Jules, je vais t’écrire ma première lettre aujourd’hui…

 

Seras-tu là pour la recevoir ? Seras-tu là pour me recevoir ?

 

5 lettres dans lesquelles je te dévoilerai comment résonnent et riment en moi les mots féminité, amour et sensualité…

5 lettres que je prendrai plaisir à t’écrire, 5 lettres dans lesquelles, me livrant à toi, je me délivrerai de moi-même…

5 lettres sans réponse qui me laisseront impatiente de te retrouver à nouveau à travers les mots.

 

Je suis dans un mélange d’émotions de peur et de désir …

Étourdie comme si j’étais en haut d’un pont pour un saut à l’élastique et que je ne pouvais plus reculer…

Étonnamment, il n’y a ni élastique ni harnais dans mon imaginaire. Il y a toi, il y a moi et ce corset si serré qui m’étouffe, ces baleines rigides, vestiges de mon éducation, qui ont bridé ma féminité depuis des années…

Tu as lu dans mes yeux mon désir, mon aspiration à être enfin libre et de ta main délicate, tu délaces le premier œillet de mon corset…

 

Cette première lettre « A » semble émerger du plus profond de moi, du plus profond de mon pubis… se frayer un chemin sur mon ventre et entre mes seins pour enfin s’échapper de ce carcan… Si mes hanches, ma taille et mes seins restent encore compressés, comprimés, meurtris par ces convenances sociales, un sentiment nouveau de libération naît avec cette fameuse Lettre A ! ! !

 

Bien sûr, au-delà de la lettre, il y a des mots et le premier mot qui me vient à l’esprit est A comme Amour, mais comment pourrais-je parler d’amour sans avoir fait pleinement le tour de ces cinq lettres…

 

C’est « A comme Abstinence » que je t’offre aujourd’hui…

 

Je t’imagine étonné de ce choix, j’ai l’image de ton sourire intrigué, de ta langue humectant tes lèvres et de cette pointe de malice dans tes yeux.

 

Oui, Jules, Abstinence.

Cela fait de longs mois que je m’abstiens à la fois de faire l’amour, d’aimer et d’écrire… Triple punition, triple peine…

 

À travers ton regard, j’ai compris que j’ai besoin de vivre…

Mon corps a ressenti profondément l’impertinence du mot Abstinence… Une chaleur intense a envahi mon ventre, comme si ce mot m’avait pénétrée. Mon corps a ensuite été intensément parcouru de frissons.

 

Étonnamment, je n’ai pas eu à cet instant envie de toi ou d’un autre homme, j’ai d’abord eu terriblement envie d’écrire.

 

Si je me suis abstenue d’aimer, c’est que, blessée, je n’étais pas prête à aimer un homme. J’avais tellement peur d’avoir mal à nouveau que pour me protéger, je lui aurais fait mal, j’aurais pris ma revanche sur lui, voire même peut-être essayé de jouir de ce nouvel état de prédatrice…

Je ne serai jamais une prédatrice.

J’aime trop l’amour pour lui manquer de respect…

Je vénère trop l’amour pour le brader… J’aime trop l’amour pour ne pas me donner pleinement à l’homme que j’aime…

Aujourd’hui, je suis prête à aimer.

L’abstinence peut être subie, voulue ou de fait…

Cette abstinence était voulue. Même s’il m’a été difficile de ne pas me sentir aimée, de ne pas être touchée tant émotionnellement que physiquement, j’avais vraiment besoin de ce temps pour être à nouveau prête à me donner à toi et m’adonner à l’amour.

 

De l’abstinence d’aimer a découlé tout naturellement l’abstinence de faire l’amour… Je ne sais pas faire l’amour sans me donner pleinement et je ne sais pas donner pleinement sans aimer… C’est un truc qui se mord la queue et la queue mérite mieux que d’être mordue.

 

Jules, je te sens sourire à ma provocation… Tu te demandes comment une femme comme moi a réussi à se couper de ses sens et de sa sensualité… Je te le promets, si tu n’exploses pas ou n’implores pas avant, ma lettre M te livrera peut-être tous les secrets de mes plaisirs solitaires…

Aujourd’hui, je suis prête à faire l’amour.

 

Quant à l’abstinence d’écriture, je me demande encore comment j’ai pu me brider à ce point‑là… L’écriture, c’est la vie … En me tendant la main, tu m’as redonné la vie et l’envie de prendre le mot « vie » à pleine bouche dans toutes ses orthographes …

 Ainsi soit le Vît, ainsi soit la Vie ! ! !

 

Elisa K.

 

Ce pèlerinage amoureux qui me conduit à toi, Jules, ne saurait avoir lieu sans t’expliquer que ces mémoires d’abus qui me hantent ne m’appartiennent pas vraiment…

======================================================================

janvier 1939… Une journée pas comme les autres

 

L’histoire démarre dans l’Algérie coloniale, cette Algérie « française » où prévalent malheureusement les inégalités selon la couleur de peau et la religion, où se côtoient aussi trois mondes.

Celui des colons européens rongés par un complexe de supériorité raciste, qui cultivent et mettent en valeur les terres.

Celui de la population musulmane, confinée dans son statut de main d’œuvre, comme Aziz, concierge et Fatima et Tara, servantes dans l’immeuble Bel-Ami.

Celui des représentants de la IIIe République, ces hommes et leurs familles envoyées de France pour faire appliquer les réformes républicaines.

 

Fatima et Tara se partagent les tâches ménagères. Ces derniers temps, elles ont peur de croiser Aziz au détour d’un couloir. Elles ont peur de ses mains qui les frôlent, de son haleine fétide et son regard vicieux. Elles hésitent à en parler à la gentille « Madame Jeanne »… Jeanne, ma grand-mère, douce, toute en rondeurs, les yeux pétillants de bonté, allaite son dernier né… Ses deux plus grands enfants sont à l’école, sa dernière adorable petite fille, Anne, joue dans la cour de l’immeuble.

 

La vie semble douce ce matin de janvier 1939.

Jacques, mon grand-père, bel homme, brun, militaire et autoritaire, est parti comme tous les matins faire respecter l’ordre dans la ville avec ses hommes.

Anne a 5 ans, une robe blanche gansée de rubans roses, les cheveux bouclés, les yeux verts. Anne joue à cache-cache avec ses amies.

 

Ce jour-là, la vie de mes grands-parents, et surtout celle de ma mère, bascule…

 

Des hurlements d’enfants jaillissent et déchirent le silence paisible de cet après-midi de janvier 1939. Ce ne sont pas des excès de jeu et d’enfantillages, mais de vrais hurlements, des appels au secours. Jeanne tressaute, son cœur se serre ; des frissons la parcourent et la glacent… Qu’est-ce donc ? Qu’est-il arrivé aux fillettes ?

Seul Arnaud, son dernier-né, semble ne pas avoir entendu les cris et tire goulument sur son sein. Jeanne se résout donc à envoyer Fatima à la recherche d’Anne.

Déjà, les pas se pressent dans les escaliers, les mères rejoignent leurs enfants, les hurlements s’arrêtent.

 

Tu l’auras compris, Jules… Anne est ma mère

======================================================================

Deuxième lettre du mot AMOUR : « M comme Mémoire cellulaire »

 

 

Hossegor, le 15 janvier 2017

 

Très cher Jules,

 

Tu sais, il y a autant de façons de porter un enfant qu’il y a de femmes et de situations de vie… neuf mois pour concevoir, neuf mois pour aimer, neuf mois pour transmettre… Transmettre quoi ?

Pendant neuf mois, Anne, ma maman, n’a souhaité qu’une chose… que je sois un garçon pour être épargnée de la violence de certains hommes.

Cette femme meurtrie m’a portée et nourrie pendant neuf mois. Je suis née avec sa peur en moi. Mon corps a gardé en lui comme des mémoires enfouies de ses souffrances d’enfant. Au fil des évènements de ma vie, toutes ces mémoires se sont faites douleur.

 

Il m’aura fallu attendre 45 ans pour qu’enfin, elle me raconte et qu’enfin, je comprenne que le rêve qui me hantait n’était issu que de ses souffrances…

Jusqu’à 45 ans, je n’ai pas aimé mon corps. Pendant ces 45 ans, les mots désir, amour, sexe étaient tabous et rimaient inlassablement avec pouvoir, trahison, soumission, jouissance et douleur…

Connaître son histoire a été et est encore pour moi une vraie et profonde libération tant dans la tête que dans le corps.

Qui suis-je ?

Au fil de ces lettres libératoires, je me découvre à toi et je me retrouve…

Au fil de ces lettres, j’accepte ma différence et j’en adoucis les contours…

Il me semble, Jules, que j’ai deux âmes, une âme de femme et une âme d’homme ?

Y-a-t-il du mal à t’avouer qu’en te faisant l’amour, j’aime ce sentiment de te pénétrer, non pas de mon corps mais de mon âme, de mon amour ? Qui de nous deux pénètre l’autre ?

 

L’amour est-il mon dard ou mon étendard ?

 

Ma sensibilité en émoi, il me semble que toutes les cellules de mon corps t’appellent…

Mon âme part à ta rencontre, seras-tu là pour l’accueillir ?

Et si je laissais enfin ta masculinité illuminer ma féminité ?

 

 Elisa K.

======================================================================

5 janvier 1939 … Une journée pas comme les autres

 

Jeanne essaie vainement d’entendre, mais seul un brouhaha lui parvient, puis des bruits de pas nombreux dans l’escalier… des pas qui se rapprochent de son étage, qui s’arrêtent devant sa porte.

Avant même que la porte ne s’ouvre, Jeanne est parcourue d’intenses frissons ; elle ressent le malheur au plus profond d’elle…

Elle sait qu’Anne a mal, a peur… Elle le sent au plus profond d’elle…

La porte s’ouvre. La vue des visages désolés de ses voisines et des larmes inondant le visage de Fatima ne fait que la glacer et la déchirer davantage…

Anne a disparu… Aziz l’a arrachée à ses camarades de jeux et s’est enfui, la fillette hurlant dans ses bras… Impossible de savoir où il l’a emmenée…

Jeanne vacille, se raccroche à l’angle de la table, essaie de recouvrir ses esprits, de ne pas penser au pire. Ses voisines s’affairent autour d’elle, elle manque d’air, elle étouffe, elle a envie de hurler. Tout son corps, tout son cœur hurlent : « NON !!!  Anne, où es-tu mon amour, ma petite fille adorée ? »

Jeanne ne sait que faire en attendant l’arrivée de son mari que Fatima et Tara sont parties chercher. Un immense désarroi l’étreint. Ses voisines éplorées l’entourent en la plaignant. Elle les regarde sans les voir, les écoute sans les entendre…

Comment survivre au milieu de ce bruit, de ces piaillements de femmes, de mères, emplies d’émotions et aussi de soulagement ou de joie contenue que cela ne soit pas arrivé à leur propre enfant ? Leur présence gémissante augmente davantage son désarroi et son sentiment de solitude… C’est intolérable !

Combien de temps Fatima et Tara vont-elles mettre avant de trouver Jacques…

« Anne, où es-tu ma petite ? »

Jeanne n’arrête pas de prier, d’invoquer tous les saints et se répète sans cesse :

« Je donnerai mon corps, ma vie et mon âme pour qu’il ne t’arrive rien. »

Mais elle sait bien que tout cela est vain…

 

Elle prend conscience qu’Arnaud s’est assoupi dans ses bras, la tête enfouie entre ses seins, une perle de lait au coin des lèvres. Délicatement, elle va le poser dans son berceau s’échappant ainsi de ces femmes qui, trop occupées à inventer telle ou telle issue à cet enlèvement, ne se sont même pas rendu compte de son départ.

Puis, au-delà de la peur et de la tristesse, elle sent monter en elle une déferlante de colère et de dégoût…

Comment peut-on être aussi vil et s’en prendre à un enfant sans défense ?

Comment peut-on abuser ainsi de la confiance de cette enfant qui hier encore, portait une part de son repas au « pauvre Aziz » ?

La haine contre cet homme et la colère contre son mari qui n’en finit pas d’arriver, déchirent son visage. Son rythme cardiaque augmente, un afflux de sang colore ses joues… Sa respiration devient ample et rapide et fait osciller sa poitrine généreuse. Ses mains sont tellement crispées qu’elle ne ressent même plus la douleur de ses ongles qui s’incrustent dans la chair de ses paumes…

Elle ressent alors le besoin urgent d’hurler NON ! ! ! !

Ce « NON !!!! » terrifiant envahit l’espace de la chambre, laissant Arnaud effrayé en pleurs.

Jeanne, épuisée et vidée, s’évanouit …

 

Quand le corps a souffert, l’âme reste longtemps blessée …

 

====================================================================

Troisième Lettre du mot AMOUR : « O comme Objet de désir »

Hossegor, le 25 janvier 2017

 

Mon Jules,

 

Féminine ou Féministe ?Peu de lettres séparent ces deux qualificatifs de ce que je suis…

Au fil des jours, au gré des nuits… j’oscille entre l’abandon et la résistance féminine…

La pertinence de mon regard, l’impertinence de mes mots, la sensualité qui émane de mon corps, l’intensité contenue de mes émotions m’ont longtemps été inconnues…

Les ignorais-je ou les réprimais-je ? Je ne sais … Sûrement en avais-je peur, de cette peur qui vous rend encore plus désirable et vulnérable et qui attire tant prédateurs, pervers et narcissiques ?

Si je l’ai longtemps décriée, je revendique aujourd’hui mon envie d’être, un objet de désir…

Qu’y-a-t-il de plus beau que les courbes, les formes, les rides, le regard d’une femme…
Que ne suis-je peintre pour coucher sur ma toile, ces hanches subtiles ou évasées, ces seins hardis ou lourds, mais toujours accueillants, ces rides de joie ou de tristesse, ces regards de filles ou de mères emplis de douceur, de force et de fragilité…

J’aime les femmes qui ont souffert et continuent à sourire et vivre. J’aime les femmes qui en ont… et les revendiquent sous un couvert de douceur… peut-être parce qu’elles me ressemblent…

J’aime les hommes empreints de ce mélange de masculinité et de sensibilité qui parfois les fait paraître gauches… Le cœur n’est-il pas à gauche ? Ces hommes-là sont beaux aussi.

Oui, j’aime être un objet de désir, même si je m’en défends…

Mais par-dessus tout, j’aime être désirée comme un objet d’amour…

Je veux être l’objet de ton désir.

 

Elisa K.

====================================================================

Quatrième lettre du mot AMOUR : « U comme Union »

 

Hossegor, le 5 février 2017

 

Jules,

 

Depuis que nos corps se sont unis, je me sens étrange, à la fois si forte et si fragile…

 

U comme Union… Si ce mot m’attire par son caractère sacré, il me fait aussi terriblement peur. Union me priverait de cette liberté qui aujourd’hui m’est chère, même si elle n’a longtemps été qu’un refuge.

 

Je me sens parfois sauvage et animale…

 

Telle une gazelle bondissante, libre et insouciante dans la savane des possibles…. Toute à la joie de sentir mon corps vibrer, mes muscles saillir et me propulser vers des horizons infinis, les naseaux frémissants de cette soif de vivre, de cette soif d’aimer, de cette soif d’être libre et de le crier au monde…

 

Je me sens aussi souvent très fragile … récemment sortie du refuge de ma solitude…

J’ai encore l’image d’une biche apeurée, fatiguée de cette traque incessante de ces hommes pour qui elle n’aura été qu’un trophée à accrocher à leur tableau de chasse… et de ces chiens dressés et lâchés à sa poursuite, qui n’avaient d’autre issue que de l’effrayer, l’épuiser, mettre ses sens tellement en stress que la moindre erreur pouvait lui devenir fatale…

 

Telle la biche, les flancs lacérés par les fils barbelés, le dernier piège placé sur le seul chemin où ces chiens avaient pour mission de l’acculer… je soufflais et pansais mes blessures quand ta main m’a effleurée…

 

J’ai besoin de retrouver mon jardin d’Eden… de m’y ressourcer, de réapprendre à dormir sans être aux aguets… Dans ce jardin, seul toi, mon ange gardien, a le droit de pénétrer et de taquiner mon intimité … On s’apprivoise mutuellement en jouant à en perdre haleine…

Un jour peut-être arriverai-je à ne plus avoir envie de fuir, à savoir ce que c’est qu’aimer vraiment…

 

En attendant, je laisse courir tes mains vers le bout de mes seins et unir ton corps au mien…

Retrouvons-nous cette nuit, j’ai besoin de ta douceur et de ta force…

 

Je t’attends,

 

Elisa K.

 

======================================================================

Professionnellement, pendant des années, j’ai toujours été attirée par des hommes de pouvoir. Même mes réussites professionnelles restaient toujours entachées d’une tristesse profonde, infinie et légère à la foi … une sorte d’ivresse des profondeurs… une très étrange sensation, être là et ne pas être là à la fois…

Je me souviens aussi combien je m’étonnais parfois de ce dégout, ce goût acide qui emplissait ma bouche…

Le même goût que toi, Maman, au fond de ta cave…

 

Pendant des années, je n’ai pas compris ce que tu m’avais transmis…

Pendant des années, je n’ai pas su combien tu avais souffert…

 

5 janvier 1939… Une journée pas comme les autres

 

Anne sourit à ses amies et se retourne contre le mur.

La partie de cache-cache continue ; c’est à son tour de compter. Anne, encore petite, compte sur ses doigts et à voix haute. Concentrée sur ses chiffres, elle se sent soudain soulevée du sol, attrapée par de puissantes mains d’homme et dissimulée sous une couverture…

 

Cela fait-il partie du jeu ?

 

Un sourire aux lèvres, elle imagine son père, rentré plus tôt, qui lui fait cette surprise…

Non, ces mains la serrent trop fort ; elle a mal, elle ne reconnaît pas la délicate odeur de savon de son père et ce tissu, qui lui couvre la tête, gratte énormément.

 

Qui est-ce donc ? Où l’emmène-t-on ?

 

Anne commence à avoir peur ; elle se débat, essaie de crier, mais ces mains la maintiennent et ses cris semblent s’étouffer sous cette couverture… De grosses larmes de désespoir jaillissent de ses yeux et à bout de force, son corps cède et se laisse emporter par cet inconnu. Combien de temps restera-t-elle ainsi, ballotée, enfermée sous cette couverture ?…

 

Enfin, l’allure de l’homme ralentit… Un bruit de clé dans une serrure qui s’ouvre difficilement… une porte qui grince horriblement…

Et le choc sur le sol ; douleur… autre bruit de porte…

 

Anne ne bouge pas. Elle a peur.

Combien de temps attend-elle sans bouger ? Elle ne sait pas ; plus de notion de temps, ni d’espace…

Pas de bruit autour d’elle… Elle s’extrait de sa couverture ; tout est noir autour d’elle. À tâtons, elle avance à quatre pattes ; le sol est sale ; ça sent si mauvais cet endroit…

 

Anne fait le tour de la pièce… Ses yeux s’habituent à la pénombre ; il n’y a aucune autre sortie que cette porte. Son genou gauche est plein de sang, sa belle robe est déchirée…

« Que dira donc Maman quand elle va voir l’état de sa robe ? » L’image de sa mère est maintenant présente à son esprit ; « Maman, je veux Maman. » Des larmes coulent sans fin sur ses joues…

 

Anne a froid… Elle récupère la couverture, se recroqueville contre un mur… Elle pleure, crie, appelle jusqu’à n’avoir plus de voix… Épuisée, elle s’endort quand la porte s’ouvre à nouveau…

 

Cinq heures s’écouleront avant que Jacques, mon grand-père, et deux de ses subordonnés ne la retrouvent, seule au fond d’une des caves de la résidence voisine, prostrée à genoux dans le noir, les yeux hagards de peur et le visage souillé de ce liquide âcre…

 

Les deux militaires ont alors tellement de difficultés à maîtriser la fureur de leur supérieur… Des envies de meurtre émanent de mon grand-père… Ils savent qu’un geste irréparable aura lieu s’il part à la poursuite d’Aziz.

N’ayant d’autre solution que de l’immobiliser, pendant qu’un le maîtrise, l’autre l’assomme.

 

=====================================================================

Cinquième lettre du mot AMOUR : « R comme Rêve »

Hossegor, le 15 février 2017

 Mon Jules,

 

Tu l’auras compris, mon rêve d’enfant n’était que la réalité. Au jugement d’Aziz au tribunal, Anne ma mère était entourée de mes deux grands-parents.

Il m’a fallu attendre des années pour qu’enfin ce secret familial soit révélé, pour comprendre mon rêve. Il m’a fallu des années avant de décider d’écrire ce non-dit d’abus.

Le désir de chair est-il vraiment un des sept péchés capitaux ?

Serai-je brulée en enfer de te désirer tant ? Je ne crois pas, il n’y a aucune concupiscence ou luxure dans mon désir pour toi, juste le désir de t’aimer.

 Aujourd’hui, Jules, j’ai encore un peu peur de l’amour mais en même temps, mon corps est en manque du tien…

 Seule, loin de toi, je rêve éveillée de toi… Ressens-tu mon désir ou s’évanouit-il dans l’univers ?

 Il y a des nuits où, seule, je rêve de ces moments doux où tes lèvres susurrent des mots tendres à mes seins, où ta langue taquine mes tétons. Mon désir point ; une discrète chaleur m’envahit, je prends alors pleinement conscience de ma féminité et en joue… Mes cuisses s’ouvrent sous tes caresses, je m’autorise alors à devenir un objet de doux désir, offert à tes caresses. Ce lâcher-prise est sûrement la plus belle et pleine preuve de confiance que je puisse te donner.

 Il y a des nuits où, seule, je rêve de cet instant magique où nos corps s’emboîtent au point même de se demander qui pénètre qui ? Ces deux corps unis dans un même acte d’amour, de communion, de création, de jouissance lumineuse où ton visage prend alors toute ta force d’homme accompli et le mien, celui de la femme épanouie.

 Il y a des nuits où, seule, je rêve de cet instant magique où je t’entends jouir. Ces nuits-là, il m’arrive de te désirer tellement que je te sens presque en moi, que mon corps se cambre à l’idée que tu me pénètres… Je ne sais comment cela est possible si ce n’est la puissance de l’envie, la puissance du désir…

 Cupidon aurait-il planté sa flèche ? Ou plutôt ses flèches ?

Il me semble que mon cœur, mon esprit et mon sexe s’embraseront d’un simple toucher de peau, d’un simple regard…

 Sans toi, sans nourriture, j’erre comme un bateau ivre, désireuse de m’attacher à ton pieu… Les yeux tournés vers toi, mes lèvres s’entrouvrent pour t’offrir ma bouche gourmande.

 

Elisa K.

=====================================================================

5 janvier 2016 – 77 ans plus tard

 

77 ans plus tard, c’est moi qui pleure dans le noir.

 

Maman, chère petite Anne, j’ai l’image de ton corps amoindri et douloureux qui me hante.

Les derniers mois, je me voilais la face et faisais mine de ne pas remarquer la finesse de tes poignets, la blancheur de ton visage ; aujourd’hui, je ne peux fuir ta réalité…

J’ai l’image de tes yeux verts si beaux mais étrangement si vides comme si tu étais déjà dans un autre monde… ou si apeurés comme tel un enfant qui a peur…

Je sens que je peux te perdre d’un moment à l’autre et je suis désemparée…

J’ai posé mes mains sur ton front, sur ta poitrine, sur tes reins pour calmer ton angoisse et tes douleurs et j’en garde encore le souvenir de tes souffrances…

Que sont donc ces décharges électriques qui te labourent le corps ? Est-ce le mal de vivre ou l’angoisse de la mort qui m’ont brulée si fort ?

 

Poser mes mains sur toi est ma manière à moi de te dire combien je t’aime.

Je t’aime, Maman, mais t’avouerais-je que je ne sais pas comment te le dire. Tu ne m’as jamais appris à te le dire, ni à le dire d’ailleurs.

Tu m’as accueillie à la vie … Quand il le faudra, je t’accompagnerai vers ta nouvelle vie…

 

Aujourd’hui, je te dis enfin je t’aime … Cela me permettra enfin d’aimer vraiment…

 

======================================================================

Lettre à mon Jules

 

Hossegor, le 25 février 2017

 

Voilà, Jules,

 Au fil de nos rencontres, tu me regardes avec les yeux du cœur comme peu d’hommes ou peut-être aucun homme ne l’a jamais fait avant, et cela me touche.

 Un homme, une femme … Toi, moi, Elisa K.

 Deux êtres humains qui se sont croisés et re-croisés aux détours de chemins imprévus. Le hasard n’existe pas… Et toujours cette même attirance, cette même curiosité, cette même envie de partager quelque chose sans savoir vraiment ce que cela doit être…

 Qu’avons-nous à vivre ? Je n’en sais rien…

 Telle est la vie, seules nos âmes savent ce que nous avons en commun. Sûrement, nous sommes-nous déjà croisés dans d’autres vies.

Vies parallèles, vies passées, vies célestes…

Nous sommes-nous aimés passionnément ? As-tu été mon père, mon frère, mon mari, mon amant ?

 Es-tu réel ou virtuel, Jules ?

 As-tu aussi peur que moi de l’amour, Jules ?

 Peu importe, dans cette vie-ci, c’est l’alphabet tout entier que je voudrais te décliner…

Mon alphabet, notre alphabet.

 

 Elisa K.

 Nouvelle protégée par le Code de la Propriété Artistique et Littéraire [ version consolidée au 11 mai 2017 ] ➺ Reproduction interdite sans autorisation écrite de l’auteur

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.